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    “Des vacances à la montagne sans le ski, mais avec plaisir”

    Laurent Guillaume est le présentateur du magazine de la montagne «Chroniques d’en Haut » sur France 3, qu’il a créé en 1998. Passionné de météo, de neige et d’ambiances hivernales, il présente aussi parfois sur France Télévisions le bulletin météo. Il a participé à des nombreuses émissions de découvertes, comme Midi en France, les Nouveaux Nomades, et plus récemment Echappées Belles avec Sophie Jovillard. Depuis tout petit, il noue une relation très forte avec la station de Valloire où il vient se ressourcer en toute saison chaque fois que cela est possible. C’est à Valloire que Laurent se sent chez lui, dans une montagne qu’il aime contempler et dont il a souvent parlé dans ses émissions, ou dans les articles qu’il publie pour France Télévisions. Il y a passé les vacances de fin d’années  et partage son expérience.

    A Valloire comme ailleurs, les remontées sont restées fermées pendant les vacances. Le village a su vivre sa montagne autrement, et, finalement, convaincre les touristes qui avaient maintenu leurs réservations. L’occasion pour beaucoup de découvrir d’autres formes de vacances à la neige.

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    Il faut bien avouer que le premier samedi des vacances de Noël, celui qui marque le début de la saison d’hiver en station avait un petit goût amer. La neige était bien là, et pour une fois même à basse altitude… Mais les remontées sont restées fermées. Les bars, les restaurants qui animent habituellement les rues du village étaient aussi déserts, rideaux baissés. Les premiers échanges avec les commerçants montraient une certaine tristesse, car lorsqu’on vit en montagne, l’hiver : c’est la pleine saison, le retour de l’activité touristique, de l’animation, et des joies des sports de glisse. Les hauts parleurs qui diffusaient des chants de Noël dans les rues du village ajoutaient une touche encore plus triste à cette première journée de vacances d’hiver.

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    En fait, personne n’y croyait trop. Même les touristes fraichement débarqués regardaient les pistes immaculées désespérément vides, en se demandant à quoi « sert » la montagne enneigée s’il n’y pas de ski ? Il allait donc falloir apprendre à vivre la montagne autrement, sans remontées mécaniques et donc, sans ce qui fait son attrait touristique principal, le moteur de l’économie locale : la pratique du ski. Bien sûr, les stations ont tout fait pour proposer des activités aux vacanciers, mais chacun ici se demandait, au fond, comment les journées allaient être occupées…

    Dans mon village, fréquenté par un taux impressionnant de fidèles, le taux de remplissage avoisinait les 50%, ce qui, au vu des circonstances spéciales de cet hiver en pleine crise sanitaire était un exploit. Mais des milliers de vacanciers désœuvrés tournant en rond dans les rues du village : l’image ne prêtait pas à sourire, et c’est ce que je redoutais le plus…

Et pourtant, les vaches ont vu passer plus de touristes que de trains…

  • Pourtant, dès les premiers jours, j’ai vu des cohortes de familles se balader sur les sentiers balisés allant d’un hameau à l’autre. Des centaines de courageux s’essayer au ski de fond, avec leurs fringues de skieurs alpins, ce qui n’est ni pratique ni esthétique, mais qu’importe. J’ai vu des gamins faire les courses en luge sur toutes les pentes qui jouxtaient le village, d’autres s’initier au biathlon avec des carabines laser, d’autres enfin rivaliser d’imagination pour faire des bonhommes de neige, des forts-à-bataille-de-boules sur les passants, se vautrer les fers en l’air sur des patins, des grands-mères dévaliser les magasins de bouche pour concocter à leur famille un bon plat bien roboratif comme elles seules savent le faire au mépris des lois de la diététique et c’est tant mieux. Les vaches de mes voisins de fermiers ont vu passer bien plus de visiteurs que de trains, il faut bien le dire…plus rares à cette altitude.

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  • Plus loin, nombreux sont ceux qui s’essayaient aux raquettes, aux chiens de traineaux, ou aux visites patrimoniales des églises et chapelles baroques. Je n’avais jamais vu autant de gens se balader, nez au vent froid, observer les chamois, se pousser dans les congères, glisser sur les chaussures, tirer des luges, pousser des voitures qui n’étaient pas équipées pour aller jusqu’au bout de la route, faire du ski de randonnée – et se dire que le télésiège, c’est quand même vachement bien – mais que le plaisir d’une descente tellement méritée par l’effort de la montée est autrement moins éphémère. Je n’avais pas souvent vu les gens se parler autant derrière les masques qui protégeaient du virus mais aussi du froid… Car, pour une fois, du temps : on en avait. On ne risquait pas de rater les dernières remontées qui ferment à 16 heures vu qu’elles n’avaient jamais ouvert.

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Monter encore et s’offrir un tête à tête avec la montagne…

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    A tel point qu’il m’a fallu m’évader bien plus loin, pour me retrouver seul avec cette montagne enneigée que d’habitude je ne fréquente pas, en tout cas pas ici, par manque de temps et parce que la route est longue, haute, et sauvage. L’été, la route du Col du Galibier est un passage obligé pour les cyclistes, les autos, les touristes qui traversent l’Europe en direction du sud.

    En hiver, c’est un long ruban blanc qui se perd au fil des kilomètres sous l’épaisse couche de neige, jusqu’à disparaitre. Un sentiment d’infini qui rappelle que la montagne, à cette altitude, n’est normalement pas faite pour l’homme. Le vent glacial qui soulève la neige fraichement tombée en témoigne, les derniers chalets d’alpages sont barricadés comme s’ils redoutaient un raz de marée, planches clouées sur les portes, volets clos… Il n’y a personne.

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    Personne, sauf quelques chamois, sur la paroi, juste en face. Pas un bruit non plus. Intense moment de contemplation… Un de ces moments où tout est juste : le froid en hiver, la montagne déserte, le soleil qui décline déjà, le dernier ruissellement du torrent sur le point de geler, ce soir peut-être, car la température va baisser, tout figer, tout assainir. La dernière lueur du jour, réfléchie par les nuages, illumine les sommets d’une étrange clarté dorée qui tranche avec le bleu intense des combes glaciales. D’habitude, je n’étais pas là à cet instant. D’habitude, j’aurais été occupé à ranger les skis, à faire les courses au supermarché, à déblayer la voiture. D’habitude, j’aurais raté cet instant. Un instant d’une simplicité rare qui n’aura couté que l’effort d’y aller.

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    Il est temps de rentrer, la nuit tombe vite à Noël. Sans m’en apercevoir, j’étais allé beaucoup trop loin sur cette route qui ne mène finalement qu’à soi-même, dans la plénitude d’un crépuscule en montagne, loin de tout.

    Alors, oui, vivement qu’elles rouvrent, nos remontées. Que les commerçants, les saisonniers, les moniteurs puissent travailler. Que ceux qui ont la chance de pouvoir en profiter retrouvent les sensations des sports d’hiver, les joues rougies par le froid, le soleil, la neige. Mais peut-être restera-t-il un peu de ces instants volés à l’agitation du grand cirque blanc. Comme une envie irrépressible d’autre chose, d’une autre façon de voir la montagne, et d’y vivre l’hiver pour ce qu’il est : vif, parfois brutal, souvent sauvage, mais… tellement vrai.